La constitutionnalisation de l’avortement et la légalisation de l’euthanasie sont symptomatiques de la déconnection entre le droit positif -celui qui est voté par le parlement – et la morale. Elles sont symptomatiques de la méconnaissance du fondement du droit sur une morale commune ; et réciproquement de l’influence du légal sur la morale. Car, ces deux éléments sont bien liés, ainsi que le rappelait Tocqueville dans De la démocratie en Amérique : « Comment la société pourrait-elle manquer de périr si, tandis que le lien politique se relâche, le lien moral ne se resserrait pas ? »
Concernant l’avortement, la récente loi s’avère être une étape dans une feuille de route dont les « avancées » suivantes seront la suppression de la clause de conscience spécifique pour les soignants et la pénalisation des propos relevant de la « désinformation sur l’IVG » (sur l’existence de séquelles psychologiques post-IVG, par exemple). L’objectif est de contribuer à faire de l’IVG un bien.
Concernant l’euthanasie et le suicide assisté, nous voyons le début d’un processus conduisant les personnes malades ou âgées à se percevoir comme un fardeau qui ferait mieux de disparaître. Cela creusera de plus en plus le fossé entre le malade et ses proches et pour les soignants, ce sera une violation du serment d’Hippocrate qui interdit de « provoquer la mort délibérément ».
Comme dans le cas de l’avortement, le droit positif conduit à une rupture franche avec l’antique morale commune, celle qui était évoquée par Jules Ferry en s’adressant à ses opposants catholiques : « la bonne vieille morale de nos pères, la nôtre, la vôtre, car nous n’en avons qu’une ». Elle était fondée, entre autres, sur ce que l’on appelait le droit naturel (Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu honoreras ton père et ta mère, etc.). Ce remodelage du paysage juridique depuis un demi-siècle est conséquence de très puissantes campagnes d’opinion anti-chrétiennes ; en effet l’ancrage du droit positif sur le droit naturel était caractéristique de notre culture chrétienne. Ainsi, Pie XII affirmait dans son encyclique de 1939 : « C’est sur le rocher infrangible du droit naturel […] que le législateur humain doit puiser cet esprit d’équilibre, ce sens aigu de responsabilité morale sans lequel il est facile de méconnaître les limites entre l’usage légitime et l’abus du pouvoir ».
Les arguments en faveur de la dérive législative actuelle ne reposent plus sur une délibération rationnelle liée au droit naturel, mais sur un nouveau paradigme éthique où l’émotion est le facteur dominant.
Parmi les enjeux de cette dérive, il y aura des discordes au sein des familles, avec des effets sur la société dans son ensemble. Les pays qui ont déjà recours à l’euthanasie sont d’ailleurs en décadence.
Ainsi au Canada, plus de 4% des décès sont liés à cette dernière, l’objection de conscience y est bafouée (un Ehpad catholique est obligé d’ouvrir un centre « d’aide à mourir »), la fécondité s’effondre au niveau de 1,33 enfant/femme. En Belgique, l’euthanasie – ouverte aux mineurs – est cause de plus de 2,5 % des décès et certains médecins plaident ouvertement en sa faveur pour les patients Alzheimer en raison du poids économique de cette pathologie. Quand le droit part à la dérive, la morale publique se délite !
A l’époque de la chute de l’empire romain, St Augustin écrivait : « Les maux abondent. Les temps sont mauvais. Les hommes disent que les temps sont difficiles. Vivons bien et les temps seront bons. C’est nous qui sommes le temps et tels que nous sommes, ainsi sont les temps.[…] Les grands hommes et les saints dans la foi ont méprisé le monde dans son éclat; et nous ne pourrions pas le mépriser dans ce qu’il a de repoussant ? Le monde est mauvais, voici qu’il est mauvais et il est aimé comme s’il était bon ! »