Le Figaro du lundi 29 novembre, sous la plume de J.-M. Guénois, souligne l’importance de « l’analyse du rapport de la CIASE, [financée par l’épiscopat français] signée par huit membres éminents de l’Académie Catholique de France, dont son président, Hugues Portelli, des juristes de renom ainsi que le philosophe Pierre Manent. L’autorité intellectuelle des signataires et l’impact des objections contre le rapport Sauvé sont tels qu’ils ont contribué à décider le pape François de « reporter » – mais plus probablement d’annuler, selon nos informations -, l’audience qu’il avait prévu d’accorder à Jean-Marc Sauvé et à tous les membres de sa commission, le 9 décembre prochain au Vatican. »
Nous donnons ci-dessous quelques extraits du texte signé par ces huit personnalités.
Partie 1.
La mise en évidence de l’étendue et de la gravité des abus sexuels dans l’Église porte atteinte au crédit de celle-ci. Ces actes sont particulièrement odieux […] La décision de la C.E.F. de demander à une commission indépendante un rapport le plus complet possible sur ces abus – rapport sur les faits, sur les causes et sur les remèdes, était donc judicieuse.
Cependant le rapport de la CIASE, en dépit de son volume, ne remplit que très partiellement ce cahier des charges dont il s’éloigne par ailleurs de troublante façon. Une remarque s’impose d’abord sur les conditions de sa publication. [Dans les faits,] il était adressé à l’opinion avec une date annoncée longtemps à l’avance, et la publication d’un chiffre : 330 000 victimes. L’annonce sans précaution d’un tel chiffre, que l’opinion prit bien sûr comme la somme des faits établis, dispensa les commentateurs de la lecture [du rapport].
La question du chiffrage.
[On mentionne différents chiffres :] le nombre des témoignages reçus par la CIASE (2 738) ; le chiffrage des victimes relevées par l’étude de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes diligentée par la CIASE (4 832) ; l’extrapolation de cette même équipe de chercheurs qui atteint le chiffre maximum de 27 800 évaluées à partir des données recueillies ; les estimations faites à partir d’un sondage conduit par l’IFOP qui a permis à cet institut de sondage d’extrapoler au niveau de la population française adulte pour parvenir [au] chiffre de 216 000 victimes de clercs (chiffre porté à 330 000 victimes en y incluant les victimes de laïcs).
[Le problème des sondages par internet, du type IFOP vient du fait que] le vivier de sondés utilisé est un panel de personnes volontaires disponibles pour des enquêtes de toute sorte, ce qui en fait des habitués de ce type d’exercice. Le biais générationnel et culturel est marqué car l’enquête est effectuée auprès des internautes familiers des réseaux sociaux et des détenteurs d’adresse e-mail, ce qui écarte les populations plus âgées et plus précaires et favorise celles peu enclines aux cultures traditionnelles et adeptes des nouvelles technologies.
Le caractère systémique
[L’annonce d’un tel chiffre de 330 000 a pour effet] de clore la discussion. Qui se trouve soudain accablé sous le poids d’un tel chiffre n’a plus rien à dire : rien à dire pour sa défense mais surtout rien à dire sur les mesures qui pourraient remédier aux graves défaillances constatées : il n’a plus qu’à s’incliner devant les « recommandations » de ceux qui ont produit et manient ce chiffre. Il n’a plus qu’à reconnaître le caractère « systémique » des abus.
Le choix de cet adjectif emporte des conséquences fatales : les membres de l’Église sont impuissants à y remédier par eux-mêmes.
Si les abus sont systémiques, les remèdes ne peuvent se trouver dans l’Église, dans l’obéissance retrouvée ou renouvelée à ses principes propres, dans une réforme ou des réformes intérieures, mais dans une réforme ou des réformes conduites de l’extérieur et selon des principes qui ne peuvent être ceux de l’Église puisque celle-ci est prisonnière d’une pédophilie « systémique ».
[Sur la nature des faits et le contexte sociologique des années 1960-1970] le rapport fournit une documentation aussi abondante que déchirante, mais l’esprit qui préside à l’analyse des causes et à la formulation des recommandations semble a priori idéologique. Si la part documentaire et purement factuelle du travail de la CIASE doit être prise en considération, [mais] son impartialité proclamée dissimule mal une incompréhension, mêlée d’hostilité, de cette société spirituelle qu’est l’Église.
Sur le plan théologique
À quatre reprises, la Commission invite à « passer au crible », autrement dit « soumettre à une sélection, une critique impitoyables » : les modes d’exercice du ministère sacerdotal et épiscopal, les énoncés du Catéchisme de l’Église catholique, la morale catholique sur les questions sexuelles, la constitution hiérarchique de l’Église catholique.
On lit au paragraphe 877 que « la Commission n’entend nullement remettre en cause les fondements du sacrement de l’ordre, ni la doctrine catholique de l’Eucharistie ». Néanmoins en appelant à passer au crible « le discours qui soutient » les modes d’exercice du ministère sacerdotal et épiscopal, elle invite à remettre en cause cet exercice.
Il est question de « la pratique pastorale » selon laquelle dans l’Eglise, « le principe hiérarchique » resterait premier. La recommandation n° 34 de la CIASE recense des « tensions internes » : « entre communion et hiérarchie, entre succession apostolique et synodalité et surtout entre l’affirmation de l’autorité des pasteurs et la réalité des pratiques de terrain, de plus en plus influencées par des fonctionnements démocratiques ». On ne voit guère quelle démarche pratique peut être suggérée par cette énumération hétéroclite. La commission reconnaît qu’« il n’y a clairement pas de lien de causalité entre le célibat et les abus sexuels ». Pourtant la recommandation n° 4 porte sur le célibat des prêtres et invite « à identifier les exigences éthiques du célibat consacré au regard, notamment, de la représentation du prêtre et du risque qui consisterait à lui conférer une position héroïque ou de domination ».
[Sur le célibat sacerdotal, le rapport reprend] le point 129 de l’Instrumentum laboris du Synode sur l’Amazonie, en omettant de signaler que le seul document officiel du Synode, l’Exhortation apostolique Querida Amazonia, ne reprend pas cette suggestion.
Sur la morale catholique
En parlant de « l’excès paradoxal de fixation de la morale catholique sur les questions sexuelles », la recommandation n° 11 atteste un préjugé qui peine à rendre objective l’approche de la morale catholique. Par ailleurs, le soupçon émis à plusieurs reprises sur « le choix d’englober l’ensemble de la sexualité humaine dans le seul sixième commandement du Décalogue » est une approche étrangère à l’anthropologie chrétienne : le Catéchisme de l’Église catholique condamne « la corruption des jeunes » (CEC-2353) aussi bien que « le viol commis de la part d’éducateurs envers les enfants qui leur sont confiés » (CEC-2356). Surtout, le CEC condamne expressément « les abus sexuels perpétrés par des adultes sur des enfants ou des adolescents confiés à leur garde. La faute se double alors d’une atteinte scandaleuse portée à l’intégrité physique et morale des jeunes, qui en resteront marqués leur vie durant, et d’une violation de la responsabilité éducative ». On aurait aimé lire ce texte dans le rapport.
Voir page suivante la seconde partie de ces extraits.