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Dans un texte intitulé « Que penser de la réforme du collège ? », le Secrétaire général de l’Enseignement catholique appelle à participer aux débats en se fondant « sur une lecture approfondie et globale des textes ». C’est pourquoi, je me permets, en tant que représentant d’Associations regroupant des familles dont les enfants sont majoritairement dans l’Enseignement catholique, de faire quelques remarques.
1. Certes, pour un chef d’établissement de l’enseignement libre, l’introduction des enseignements pratiques interdisciplinaires (E.P.I.) permettra une plus grande souplesse dans les horaires et dans l’affectation des professeurs. Cette souplesse est une bonne chose si elle est justifiée comme un outil de bonne gestion pédagogique et non pas par une interdisciplinarité qui serait la panacée. Or, c’est celle-ci qui est mise en avant ; ce pivot de la réforme va entrainer l’effacement des disciplines traditionnelles « au profit de thématiques interdisciplinaires, dont l’objet est le plus souvent ponctuel, dicté par l’actualité … Comment les élèves pourraient-ils construire par eux-mêmes un savoir à partir de [ces] approches transversales et pluriellesi ». Clairement seuls les élèves ayant de l’aide dans leur famille pourront faire la part des choses dans cette pratique, les parents étant là pour combler les lacunes dans les fondamentaux, lire, écrire, compter.
2. Dans le « Socle communii », la langue française devient un simple outil : un seul chapitre dans un des cinq domaines principaux. On nie ainsi que le français, ce riche héritage qui a façonné notre culture, peut, seul, structurer la réflexion et l’intelligence des enfants ; on occulte le fait que sa mauvaise assimilation soit une des causes majeures de l’échec des collégiens. D’ailleurs, 20 % des élèves entrant en 6° présentent des lacunes majeures proches de l’analphabétisme et rien dans la réforme ne va pallier cette carence, « l’accompagnement personnalisé » tant vanté par la ministre étant dispensé en demi-classe à des doses homéopathiques.
3. Dans le texte « Que penser de la réforme du collège ? », il est dit que cette réforme « cherche à articuler formation théorique et activités concrètes pour mettre les élèves en projet et les rendre acteurs de leurs apprentissages ; [et] invite, pour la formation morale et civique, à ne pas se limiter à de l’enseignement mais à entrer dans une réelle démarche éducative. » Certes l’articulation entre enseignement et éducation est une bonne chose. Mais ne soyons pas naïfs, pour les hauts fonctionnaires du ministère, le mot « éducation » n’a pas le même sens que pour nous. Il s’agit pour eux « d’éduquer à la citoyennetéiii ». Leur enseignement moral et civiqueiv vise en fait à inculquer aux jeunes élèves une vision légaliste de la vie : l’objectif est d’imposer l’idée que chaque loi votée par le Parlement oblige en conscience l’adhésion de chacun. Dans cette vision, on se pique de rappeler « le droit », mais aucun recul n’est pris sur les questions juridiques (d’ailleurs comment des collégiens pourraient-ils être initiés à celles-ci et aux pratiques du monde judiciaire ?).
Pour le Ministère, la loi morale ne surplombe pas la loi civile et la réflexion éthique consiste à développer une « conscience citoyenne » dont les grands axes sont : la laïcité (qui n’est pas définie), l’adoption « d’un comportement responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé » (l’un des thèmes les plus en vogue dans la réforme), la « mise à distance des préjugés et des stéréotypes » et surtout « la lutte contre les discriminations » qui se déploie dans la logique de l’indifférenciation sexuellev. Or, dans nos établissements dont le caractère propre se réfère à l’enseignement de l’Eglise, la formation dans le domaine moral est basée sur l’amour du prochain et la distinction entre le bien et le mal. Il est clair que les postulats de base entre la vision ministérielle et la nôtre sont totalement différents.
4. Avec la réforme, le Ministère accorde aux « outils numériques » une place primordiale, l’un des arguments étant que le collège doit être « une communauté où l’expérience individuelle et l’activité collective sont privilégiées ». Or, de nombreux problèmes pédagogiques vont apparaître dès lors que les élèves utiliseront des logiciels un tant soit peu élaborés, car leur attention au lieu de se porter sur le contenu de l’apprentissage va être captée par le fonctionnement du logicielvi. Une autre question majeure est celle de la connexion des élèves à Internet pendant les cours. Si celle-ci est bloquée, il faudra déployer dans chaque collège un réseau local qui bien sûr n’aura pas les mêmes potentialités qu’Internet ; cela générera un sentiment de frustration chez les élèves qui y verront un signe de défiance à leur égard (de plus ce sera très coûteux et cela n’est jamais évoqué dans les plans ministériels). Si la connexion Internet est effective pendant les cours, la tentation de la distraction sera omniprésente (seuls les élèves ayant une volonté de fer pourront s’en sortir) et cela engendrera un laisser-aller en contradiction avec le discours de prudence que tous les éducateurs tiennent vis-à-vis du danger de l’utilisation des réseaux sociaux.
5. Enfin, parmi les huit EPI définis, notons qu’un d’entre eux sera dédié à la santé. Mais, pour les hauts fonctionnaires du Ministère, la santé est principalement liée aux questions sexuelles ; parmi les mots clés sur ce sujet dans le document du Conseil Supérieur des Programmes se trouvent « procréation médicalement assistée ; contraception ; comportements responsables ; sexualité. » Les manuels scolaires détailleront donc, de plus en plus tôt dans le cursus, les différents types de contraceptions dont bien sûr la « contraception d’urgence ». Par ailleurs, les enseignants seront dans l’obligation de faire subir aux élèves chaque année plusieurs séances « d’éducation à la sexualité »vii ; vu leur caractère obligatoire, il est à craindre que les parents ne soient pas informés à l’avance de ces séances (le risque est aussi présent malheureusement dans l’Ecole catholique).
Concluons. Même si le contenu de certains programmes est légèrement modifié (en histoire et en français par exemple), les parents d’élèves ont bien raison de se méfier de cette réforme imposée de façon autoritaire, notamment en ce qui concerne l’éducation morale et civique qui va à l’encontre du respect du caractère propre de nos établissements. « L’éthique républicaine » proposée par le Ministère et que certains veulent promouvoir au sein de l’Ecole Catholique est celle que Vincent Peillon n’a cessé de prôner à base « d’égalité des droits » et de lutte contre « les préjugés familiaux » (n’oublions pas la virulence de sa lettre du 4 janvier 2013 concernant le débat sur le mariage unisexeviii). Cela n’a rien à voir avec « bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères » à laquelle se référait Jules Ferry.
Favoriser l’autonomie des établissements est nécessaire, mais la voie n’est pas ce collège monolithique avec un cursus uniforme sans option possible que veut nous imposer le ministère. Il faut que les parents, « premiers éducateurs de leurs enfants » (cf. Gaudium et Spes) puissent choisir entre différentes voies en fonction de ce qu’ils pensent être le mieux pour ceux-ci. C’est grâce à cette liberté de choix que pourront se développer des initiatives permettant de tester différentes pratiques et de faire sortir des élèves en difficulté d’un cursus trop théorique. Les parents, en désirant interagir au mieux avec la communauté éducative, veulent que soit garantie la liberté pédagogique de leurs établissements.
i Déclaration de l’Académie Française, juin 2015. « Les EPI ne se développeront nécessairement qu’au détriment des disciplines qu’ils prétendent fédérer, seules à même de transmettre les savoirs fondamentaux qui manquent à tant de collégiens ».
ii Référence centrale de la réforme, il « définit les finalités de la scolarité obligatoire » ; tout l’enseignement y est placé dans cinq domaines rappelés ci-dessous avec l’intitulé de leurs chapitres (entre parenthèse l’explication sur le site du Ministère).
a. Les langages pour penser et communiquer : La langue française à l’oral et à l’écrit ; les langues vivantes étrangères ou régionales (en fait deux langues étrangères ou, le cas échéant, une langue étrangère et une langue régionale) ; les langages mathématiques, scientifiques ; les langages informatiques ; les langages des arts et du corps.
b. Les méthodes et outils pour apprendre (Accès à l’information et à la documentation, Outils numériques, organisation des apprentissages et conduite de projets) : Organisation du travail personnel ; Coopération et réalisation de projets ; Médias, démarches de recherche et de traitement de l’information ; Outils numériques pour échanger et communiquer.
c. La formation de la personne et du citoyen (Apprentissage de la vie en société, formation morale et civique, respect des choix personels et des responsabilités individuelles) : Expression de la sensibilité et des opinions, respect des autres ; La règle et le droit ; Réflexion et discernement ; Responsabilité, sens de l’engagement et de l’initiative.
d. Les systèmes naturels et les systèmes techniques (Approches scientifiques et techniques, curiosité et sens de l’observation, capacité à résoudre des problèmes) : Démarches scientifiques ; Conception, création, réalisation ; Responsabilités individuelles et collectives.
e. Les représentations du monde et l’activité humaine (Compréhension des sociétés dans le temps et l’espace, interprétation des productions culturelles humaines, connaissance du monde social contemporain) : L’espace et le temps ; Organisations et représentations du monde ; Invention, élaboration, production. (cf. décret n° 2015-372, mars 2015)
iii Ce terme est utilisé à 25 reprises dans le document dédie le collège écrit par le Conseil Supérieur des Programmes, dont on rappelle que ses membres sont nommés par le ministère sauf de rares parlementaires (un seul de l’opposition).
iv dont le programme a été mis au point par un groupe d’experts dirigés par Pierre Kahn et Alain Bergounioux.
v Celle-ci est encore pointée du doigt par le pape François dans Laudate Si’ (155). Il convient » d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre, homme ou femme, œuvre du Dieu créateur, … l’attitude qui prétend effacer la différence sexuelle parce qu’elle ne sait plus s’y confronter n’est pas saine. »
vi Par exemple s’il faut un traitement de texte pour écrire des formules mathématiques ou utiliser des outils de travail collaboratif, les logiciels correspondant sont tels que le collégien moyen sera focalisé par les problèmes techniques.
vii Pour ce faire, les enseignants devront subir des formations qui aborderont tous les aspects de la «santé génésique » qui dans le langage des hauts fonctionnaires recouvre « le droit l’avortement ». Concernant la distinction entre ‘éducation à la sexualité’ et ‘éducation affective et sexuelle’, voir la partie III du document « Homme, femme, condition sexuée » (//www.academiecatholiquedefrance.fr/images/pdf/declaration.25novembre2014.homme_femme.pdf ).
viii Lettre à laquelle notre évêque émérite, Mgr Daucourt, avait répondu de façon nette.