Euthanasie. Tribune de Mgr Mathieu Rougé et de Michaël Azoulay  (Le Figaro du 19 septembre)

Héritiers, chacun à notre manière, de la grande tradition biblique, il nous semble particulièrement important, en ces temps marqués par tant de violences et de fractures, de faire retentir ensemble l’appel divin qui jaillit du plus profond des âges : « Choisis la vie!» (Dt 30, 19). Cet appel ne concerne pas seulement les croyants : il constitue une source de sagesse pour tous ceux qui veulent contribuer à bâtir une société authentiquement fraternelle, une société qui soit vraiment digne de notre humanité.

C’est à son attitude à l’égard des personnes en fin de vie, qu’une société manifeste son degré d’humanité.

L’avis que vient de publier le CCNE [sur l’euthanasie] donne lieu à des interprétations variées. Beaucoup retiennent exclusivement qu’il entrouvre la possibilité de légiférer en faveur de l’aide active à mourir.

Il nous semble important de relever que le CCNE commence par affirmer qu’« il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte ».

Il faut aussi souligner la « réserve » que plusieurs membres du CCNE ont souhaité ajouter à l’avis lui-même. « Nous partageons les constats établis dans le texte du présent avis, écrivent-ils, quant aux pistes d’amélioration de l’accompagnement de la fin de vie en France. Cependant, ces constats nous poussent précisément à émettre une réserve quant à la possibilité même d’accompagner une éventuelle évolution législative. Le constat partagé qu’on meurt mal en France nous engage davantage à nous interroger sur les racines de ce mal et les moyens humains à développer pour y répondre, plutôt qu’à envisager d’abord une évolution législative en faveur d’une aide active à mourir. »

Comment ne pas prendre très au sérieux les interrogations qui prolongent ces réserves : « Quel message enverrait une évolution législative à la société ? Quel message enverrait une telle évolution législative aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ? Ne risque-t-elle pas d’être perçue comme le signe que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ?  Quel message enverrait aujourd’hui une évolution législative au personnel soignant ?» […]

Il y a quinze ans déjà, le regretté grand rabbin de Paris […] et le cardinal Vingt-Trois, déclaraient d’une seule voix : « C’est à son attitude à l’égard des plus faibles, parmi lesquels les personnes en fin de vie ont une place toute particulière, qu’une société manifeste son degré d’humanité. La véritable compassion ne peut se traduire par le fait de provoquer délibérément la mort d’autrui. Notre société, si sensible à la souffrance des personnes en fin de vie, se doit d’apporter à tous ceux qui en ont besoin les moyens d’accompagnement et de soins palliatifs qui respectent la vie humaine. Ce respect constitue l’un des fondements de toute civilisation qui se veut humaine. »

Il ne s’agit pas pour nous de faire preuve de simplisme ou de dogmatisme. L’esprit de compassion que nous cherchons à cultiver et promouvoir nous rend aussi attentifs que possible aux souffrances des personnes gravement malades et au désarroi voire au désespoir de leur entourage. Mais nous entendons leurs cris de douleur, de découragement ou de colère comme des cris de vie. C’est comme si à travers eux nous rejoignait à nouveau l’appel séculaire et salutaire : « Choisis la vie ! »

Choisir la vie, c’est respecter inconditionnellement toute personne humaine, quels que soient ses fragilités et ses besoins de soin et d’accompagnement. Choisir la vie, c’est contribuer activement, comme soignants, comme accompagnants, comme citoyens, à tout ce qui peut apaiser la souffrance corporelle, affective et spirituelle des personnes gravement malades et de leur entourage. Choisir la vie, c’est participer à un débat authentiquement démocratique où chacun est écouté sereinement en vue d’un discernement libre des pressions et des raccourcis.

Notre société est déjà traversée par trop de violences et de déshumanisations pour pouvoir se permettre aujourd’hui une rupture législative à marche forcée.

Notre société est surtout capable de beaucoup mieux que de répondre à la souffrance par la mort. Il y a dans le cœur humain une capacité de vie, de service, de compassion, de créativité scientifique et relationnelle qui constitue l’énergie par excellence, dont nous ne manquerons pas si nous le décidons. C’est l’honneur du politique, pour juguler la diffusion de la violence, de promouvoir la contagion de la vie. C’est l’humble responsabilité des croyants de l’y encourager et de l’y aider.

M. A. est conseiller du grand rabbin de France pour les questions éthiques

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