Comment les nouveaux clercs qui nous gouvernent conçoivent-ils la famille ?
Pour le monde politico-médiatique, on le sait, la famille se réduit à un contrat entre deux personnes, quel que soit leur sexe, décidant de vivre ensemble pour un temps (ou bien à un adulte et ses enfants) ; elle est déconnectée d’avec la procréation, la maternité étant un phénomène relevant uniquement de la vie privée. Ainsi a-t-on assisté à une campagne de presse en faveur des femmes qui ont choisi de ne pas avoir d’enfants (par exemple dans Elle et sur France Culture), à des interviews de jeunes filles ayant choisi de se faire stériliser à 23 ans (sur Konbini), à une campagne publicitaire sur « l’homme qui peut être enceint ».
Une vision supplémentaire de la famille nous est donnée par certains universitaires en vue, tel le philosophe Geoffroy de Lagasnerie, habitué des plateaux radio et télé. Pour lui, la famille est un état de vie tuant la sociabilité : « Le simple fait de se mettre en couple divise par cinq le nombre de sorties, c’est un appauvrissement considérable du tissu relationnel, la vie se met à avoir un centre qui est le foyer » affirme-t-il le 6 mars sur France Inter. Il associe la famille à « la déperdition, la tristesse et l’ennui » et affirme qu’il faudrait en finir avec « le familialisme » caractérisé par un soutien excessif que la puissance publique accorde aux familles sur le plan social.
Arrêtons-nous sur ce familialisme, terme utilisé depuis 80 ans par les sociologues. Ces derniers rappellent que la défense des familles est devenue à la fin de de la Troisième République une cause nationale, entraînant allocations et services : la politique familiale étant vue comme une combinaison d’efforts pour la natalité, de promotion du travail social et d’apostolat social (cf. le code de la famille promulgué en 1939). Le sociologue Rémi Lenoir, par exemple, distingue le familialisme d’Église, comme solution à la crise morale et mode d’adaptation au monde moderne, et le familialisme d’État, comme mobilisation d’une élite républicaine et des classes dominantes empreintes de paternalisme.
Puis le familialisme va se transformer sous l’effet des crises politiques. Outre la référence classique au régime de Vichy, les sociologues retiennent dans la situation de l’après-guerre, le thème de l’unité nationale, la place centrale de la gestion des transferts sociaux (allocations familiales bien sûr, allocation de salaire unique, puis allocations au jeune enfant, etc.) et la nouvelle morale familiale publique. Jusqu’à la fin du XXe siècle, la subsidiarité que la puissance publique doit à la famille est associé aux obligations du soutien matériel et moral entre les membres de la famille.
Mais désormais pour les sociologues, le familialisme est associé aux « privilèges » octroyés aux familles par la puissance publique ; il s’identifie dès lors avec la défense de la famille classique et devient donc suspect. Ainsi, en 1999 François de Singly faisait un commentaire sur l’absence d’étude sur l’avant-divorce par ses camarades sociologues : une telle étude « pourrait être interprété comme une manière de prévenir cet acte, comme un signe de familialisme, de défense de la famille classique ».
Philippe Sollers s’écriait « Malheur au moralisme contraint, au puritanisme, au familialisme moisi ».
La défense la famille serait caractéristique de ce familialisme moisi : désormais, l’important est le tissu relationnel et le développement de l’individu. Pour Lagasnerie, le familialisme est comme une « dépossession existentielle » puisque le tissu relationnel est réduit par la vie familiale ; il faudrait nécessairement faire un choix entre amitié et familialisme qui seraient exclusifs l’un de l’autre.
En fait, pour reprendre ses termes « la vie se met à avoir un centre qui est le foyer ».
Mais n’est-il pas vrai qu’un foyer qui se crée est un nouveau centre, une cellule nouvelle de la société, une source de joie ?