De Mgr Rougé (le 18 mai)
Depuis l’annonce de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert, une grande émotion traverse les cœurs sans pour autant parvenir à éveiller les plus hauts responsables et l’opinion publique la plus large aux enjeux éthiques, aux enjeux de société de cette grave décision.
Comme l’a magnifiquement écrit le P. Bruno Saintôt, jésuite […] « certains pensent qu’il y a des cas où l’humain s’est absenté de la vie. Il y aurait ainsi, pour eux et dans certains cas, ‘la vie sans l’humain’, une ‘vie purement biologique’, une ‘vie purement végétative’. Je ne partage pas du tout ce point de vue. L’humanité ne s’absente jamais de l’être humain que nous devons soigner mais c’est à nous de l’honorer par l’attention, le respect, le soin adapté ». [Il] ajoute : « Monsieur Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, ne semble pas souffrir, n’exprime pas de refus permanent de soin et n’a pas exprimé clairement sa volonté : au nom de quel principe faudrait-il arrêter ce traitement particulier qu’est l’alimentation et l’hydratation artificielles, ce traitement particulier qui apparaît à beaucoup comme un soin de base dû à tout être humain ? »
Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims où Vincent Lambert est hospitalisé, a de son côté écrit avec force et délicatesse : « Les spécialistes semblaient s’accorder sur le fait que M. Vincent Lambert, si dépendant soit-il depuis son accident, n’est pas en fin de vie. Tout en saluant l’engagement des équipes du CHU de Reims, on peut s’étonner que M. Lambert n’ait pas été transféré dans une unité spécialisée dans l’accompagnement des patients en état végétatif ou pauci-relationnel ». Et d’ajouter : « C’est l’honneur d’une société humaine que de ne pas laisser un de ses membres mourir de faim ou de soif et même de tout faire pour maintenir jusqu’au bout la prise en charge adaptée. Se permettre d’y renoncer parce qu’une telle prise en charge a un coût et parce qu’on jugerait inutile de laisser vivre la personne humaine concernée serait ruiner l’effort de notre civilisation. La grandeur de l’humanité consiste à considérer comme inaliénable et inviolable la dignité de ses membres, surtout des plus fragiles ».
Nous ne pouvons pas nous résoudre aux conséquences d’une décision qui porte si gravement atteinte à la dignité d’un homme mais aussi à la dignité de toutes les personnes cérébro-lésées, à la dignité plus largement encore de toute notre société. Ce serait accepter ce que le Pape François appelle la « culture du déchet », la réduction de la personne fragile à une réalité négligeable dont on peut se débarrasser sans le moindre scrupule.
Ce serait renoncer à l’humanisme européen pourtant au cœur du débat électoral en cours : quel est le message de l’Europe si ce n’est le respect inconditionnel de la dignité de toute personne humaine, fondement véritable de la paix ?
Que les plus hauts responsables de notre pays se laissent interpeller par le mystère de la vie ! Leur honneur – et le nôtre – est de la respecter, de la servir, surtout quand elle est fragile et blessée.
De Mgr Aupetit (le 20 mai après-midi)
[Le cas de Vincent Lambert ] est emblématique de la société dans laquelle nous voulons vivre.
Tout d’abord, mon cœur de prêtre me porte à prier pour lui, soumis à tant de pressions, et dont la vie ne peut dépendre que de décisions qui lui échappent. Il y a quelques années, il a déjà subi un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation auquel il a survécu de manière étonnante. Cet homme de 42 ans, traumatisé crânien lors d’un accident de la route est actuellement lourdement handicapé, tétraplégique et dépendant dans un lit au CHU de Reims. Son cas est tout proche de celui de Michaël Schumacher, traumatisé crânien avec de lourdes lésions cérébrales et, lui aussi, en état pauci relationnel. Malgré la célébrité de ce champion de Formule 1, les médias ne se sont pas emparés de son cas médical et il peut jouir de soins spécialisés très attentifs en milieu privé. Dans le cas précis de M. Vincent Lambert, on constate qu’il a les yeux ouverts, qu’il respire normalement, qu’il est dans un état stable, pas du tout en fin de vie. Il a besoin d’une aide-soignante et d’une infirmière qui assurent le nursing et le changement de position, d’un kinésithérapeute pour éviter les escarres. La nutrition et l’hydratation se font par gastrostomie ou par sonde nasogastrique.
La décision d’interrompre les soins de confort et de nutrition de base chez un patient handicapé s’oppose à la loi Léonetti. Il n’est pas mentionné qu’il présente de souffrance insupportable qui nécessite une sédation profonde sauf évidemment dans le cas où l’arrêt de l’hydratation par les médecins entraînerait la douleur cruelle de mourir de soif. Il ne s’agit pas d’une « obstination thérapeutique » puisque ce ne sont pas des soins curatifs d’une maladie incurable, mais simplement les soins corporels et nutritionnels de base que l’on doit aussi aux personnes âgées dépendantes, hémiplégiques, et aux bébés qui ne sont pas encore autonomes.
On cite à l’envi les pays moins-disant éthiques comme la Belgique ou les Pays-Bas. Force est de constater que dans ces pays il y a une anesthésie totale de la conscience. On entend des enfants parler de manière naturelle de l’euthanasie de leurs parents comme s’il s’agissait d’une éventualité normale. Un membre du gouvernement belge, assise en face de moi lors d’une rencontre chez M. le Président de la République, était très fière que son pays soit « en avance », comme elle disait. Pourquoi ne cite-t-on jamais les pays qui ont une plus haute conscience éthique, comme l’Allemagne ou l’Italie ? Il y a aujourd’hui un choix de civilisation très clair :
soit nous considérons les êtres humains comme des robots fonctionnels qui peuvent être éliminés ou envoyés à la casse lorsqu’ils ne servent plus à rien, soit nous considérons que le propre de l’humanité se fonde, non sur l’utilité d’une vie, mais sur la qualité des relations entre les personnes qui révèlent l’amour.
N’est-ce pas ainsi que cela se passe lorsqu’une maman se penche de manière élective vers celui de ses enfants qui souffre ou qui est plus fragile ? C’est le choix devant lequel nous nous trouvons. Le Christ nous a révélé la seule manière de grandir en humanité : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé ». Et il nous a donné la seule manière d’exprimer cet amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
Une fois de plus nous sommes confrontés à un choix décisif : la civilisation du déchet ou la civilisation de l’amour.